
Du 23 avril au 20 mai | “Kalamkari d’hier et d’aujourd’hui”
Cette exposition met à l’honneur une grande tradition de l’Inde du Sud Est: le Kalamkari. Dans le mouvement du monde, cet art graphique resté vivant en Andhra Pradesh dans la ville shivaïte de Sri Kalahasti, peine à se maintenir.
L’atelier HKKK de Kavali a été imaginé en 2007 lors de la création du premier dispensaire de H.E.L.P. India, destiné aux soins du SIDA. Des jeunes femmes volontaires, salariées pour apprendre cet art difficile,se sont impliquées au point que durant 12 ans la vente de leurs toiles a contribué au fonctionnement de deux centres de soins au service d’un millier de patients. Aujourd’hui l’action en Inde s’est arrêtée, mais l’atelier a continué sa production particulièrement originale avec 6 femmes talentueuses, fières de savoir que la vente de leurs œuvres permet de financer d’autres causes. Reconnues par le Ministère du Textile en Inde, elles ont pris leur autonomie.
L’exposition présente des toiles savantes de la tradition hindoue et les créations de cet atelier.
LE KALAMKARI
Cet art pictural traditionnel encore vivant en Inde du Sud tire son nom de l’outil employé pour dessiner les motifs sur la toile de coton : le kalam, bâtonnet de bambou effilé muni d’un réservoir fait de chiffon. L’origine du kalamkari est millénaire, et sa diffusion au cours des derniers siècles a eu pour supports principaux l’hindouisme et la culture moghole. Étymologiquement il s’agit d’un artisanat dessiné à l’aide d’un kalam, kari signifiant l’art, ou la main. Il survit sur la côte Sud Est de l’Inde, en Andhra Pradesh dans la ville de Srikalahasti, connue pour son pèlerinage shivaïste. Les artisans travaillent pour un Maître dont ils assurent la production d’œuvres par définition uniques. Dessinateur virtuose, le Maître traite à main levée et en direct sur la toile les grands thèmes de la mythologie hindoue, comme le Ramayana et le Mahabharata. Ces artisans utilisent les mêmes techniques de mordançage, les mêmes plantes tinctoriales et pigments naturels, les mêmes recettes que celles de leurs ancêtres, où entrent le lait et la bouse précieuse de la vache, combinant toujours l’eau de la rivière, la cuisson au feu de bois et le soleil. Le dessin à main levée nécessite un long apprentissage, à la fois technique, artistique et religieux : il faut savoir dessiner “par coeur” et connaître les codes de représentation, en s’inspirant d’une mythologie ancienne qui imprègne la vie quotidienne. Le dessin au kalam cerne de noir ou de rouge le motif qui sera rempli par des à-plats de couleur; chaque kalamkari est une pièce unique, tracée et coloriée à main levée. Il se présente soit comme une bande dessinée savante, assortie de commentaires en Télougou, la langue de l’Andhra Pradesh, soit en images répétées, mais toujours uniques : divinités, arbres de vie ou décors chargé d’oiseaux et de fleurs. Ces toiles de temples qui peuvent être immenses ou de tailles plus modestes ont, à l’ère du cinéma et de la télévision, perdu une grande part de leur vitalité. Elles subsistent aujourd’hui à grand peine, laissant leurs créateurs (qui sont aussi de véritables conteurs) désemparés, contraints de se dévaluer en produisant surtout des tissus décoratifs. Cet art très complet demande la maîtrise de quantité de savoirs indispensables. L’apprentissage se fait en principe chez un Maître, au contact direct du travail et d’une équipe de collaborateurs. Seule la participation active aux tâches si diverses permet de se forger une connaissance d’ensemble.
La rencontre de cet artisanat magnifique nous avait, André mon époux et moi-même, émerveillés. Aussi, lorsque nous ouvrons en janvier 2007 à Kavali (Andhra Pradesh), la « Maison Bleue », Centre de soins et de soutien pour des populations touchées par le VIH/SIDA, l’idée est là de nous servir de cet art local en remontant à sa tradition ancienne.
La question se pose en effet de soulager la misère de jeunes femmes régulières aux consultations, mères d’enfants malades, souvent veuves, stigmatisées, et sans revenus. Leur offrir une activité salariée peut leur apporter un peu d’oxygène. C’est ainsi que l’atelier HKKK voit le jour.
Je me charge de guider ces jeunes femmes volontaires mais nous ne parlons pas la même langue : en plus des cours de dessin elles reçoivent des cours d’anglais ! Elles ne sont pas à l’aise avec un crayon, mais après quelques mois sur des cahiers, à force d’exercices laborieux, de volonté, de patience, le moment vient de travailler sur la toile de coton. Et comme leur santé renaît, avec une confiance impressionnante elles avancent à grands pas. Inimaginables et presque surréalistes, des sorties s’organisent pour que toutes ensemble elles puissent visiter des ateliers de kalamkari et rencontrer les grands Maîtres à Srikalahasti. Très vite elles prennent goût à ces découvertes! Ces femmes pauvres, discriminées en raison de leur naissance hors caste et de leur maladie, majoritairement illettrées, sont mues par une grande force de résilience. L’exercice de survie imposé par un quotidien si difficile (elles ont 25 ans en moyenne) a développé chez elles de belles intelligences.
Je me laisse guider par leur formidable envie de se dépasser et de prouver leur valeur. En deux ans le résultat est visible : leurs essais encore maladroits se vendent sur les expositions dans toute la France que nous faisons à chacun de mes retours. Leur travail assidu permet de financer, et chaque année davantage, une bonne partie de notre travail social en Inde*. Elles accèdent à l’enseignement de maîtres indiens de renom qui se déplacent jusqu’à elles. Cela fait 12 ans qu’elles produisent des œuvres inédites. Ces créations touchantes, naïves, inspirées, touchent les cœurs et reçoivent en France un succès mérité.
Dans l’Aveyron un magasin est ouvert à Villefranche de Rouergue : H3K diffuse le travail de l’atelier HKKK sur place et par correspondance, et sous forme d’expositions itinérantes.
A Srikalahasti le kalamkari perd son authenticité : couleurs chimiques, travail bâclé, voire imprimé, techniques mensongères pour gagner du temps : ainsi se perdent les savoirs. A Kavali la petite équipe de HKKK maintient son art et respecte la technique acquise. Qualité rime avec beauté et émotion. Remarquées par un grand designer indien qui leur confie de merveilleux saris à dessiner, elles tentent leur chance sur le marché indien. Nous les aidons à effectuer le passage.
S’élever soi-même tout en aidant les autres, et maintenant affronter le marché local ! L’autonomie un jour? Advenir à soi-même et lancer en images des messages qui ne soient pas perdus, c’est la leçon transmise par ces femmes exemplaires.
Catherine Mâge
* www.help-kavali.org
H.E.L.P. (Handicap, Evaluation, Liberté, Partage) est un Fonds de Dotation

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